Début 2017, j’ai lancé dans mon équipe à l’Université des sessions « Brainstorming Days », consacrées au team building, à l’expérimentation, la découverte, l’idéation et la résolution de problèmes. Le principe est simple : tous les 10 jours, l’équipe au complet se réunit pour une demi-journée. Pas de projets ni réunions à ce moment là.
Cela répondait aux défis suivants, dans lesquels vous vous reconnaîtrez sûrement : une équipe en expansion, un nombre de projets en évolution avec des gens travaillant seuls sur certaines tâches et du temps informel d’équipe qui se réduit drastiquement. Le but était de conserver une bonne dynamique de groupe, tout en faisant profiter chacun de la force du collectif pour résoudre des problèmes ciblés. Et aussi d’être dans une démarche constante d’apprentissage et d’amélioration de notre propre expérience de travail.
Comme plusieurs d’entre vous me l’ont demandé, voici une description du principe et format de nos brainstorming days. Comme pour tout, pas de recette miracle qui s’applique de la même manière à chacun, n’hésitez donc pas à adapter le format aux besoins de vos équipes si vous vous inspirez de nos pratiques.
Format
Une demi-journée tous les 10 jours (on avait commencé par une journée complète, mais un peu trop fatiguant – et on avait commencé par tous les 15 jours mais pas suffisant le groupe en demandait davantage)
De 5 à 12 participants (au-delà le temps s’étire pour que chacun s’exprime)
Une personne de l’équipe se porte volontaire pour coordonner la session (et amener de petits biscuits ou snacks), on tourne à chaque fois.
Les membres de l’équipe s’inscrivent sur un ou plusieurs slots selon les activités qu’ils veulent proposer (on fait ça tout bêtement via un Google Sheet partagé)
Activités
Globalement (mais c’est flexible), on structure cette demi-journée en 6 slots :
– icebreaker / energiser (10-15 min): au-delà du côté team building, le fait de démarrer par un ice-breaker nous permet d’en tester des dizaines. On peut ainsi voir ce qui marche le mieux ou non et le temps que chaque activité prend réellement. Ensuite c’est facile de les transférer dans nos workshops respectifs.
– 7-min pitch (x2): sur un format court, l’un des membres de la team parle d’une choses qu’il trouve inspirante pour le groupe: complètement ouvert cela peut être une théorie, un outil, une méthode, une idée, un article, un film… On les utilise aussi parfois pour partager les résultats de recherche utilisateur particulièrement instructifs ou lorsque quelqu’un revient d’une conférence pour partager les highlights de ce qu’il a vu ou entendu.
– Activités UX x 3 (1h environ chacune): les grands slots sont consacrés à toute activité UX qui soutient les projets des uns ou des autres. Le format est complètement libre. Comme le nom de nos journées l’indique, on brainstorme, mais on préteste aussi toutes nos activités et protocoles, on confronte des idées, on analyse des données de manière collaborative, on élabore des stratégies pour convaincre les parties prenantes ou futurs partenaires, on fait des répétitions de pitchs ou de conférences, etc. Bref tout est possible tant que cela contribue au développement des projets ou au développement personnel. Se faisant, on expérimente aussi tout un tas de nouvelles méthodes.
Les bénéfices sont multiples : la personne qui propose l’activité profite de l’ingéniosité de 12 cerveaux au lieu d’un seul, tous les autres apprennent en faisant, sont inspirés pour leurs propres projets, on expérimente de nouvelles méthodes ou façons de faire sans crainte de l’échec et on partage du temps ensemble.
C’est aussi le moment idéal pour développer une culture éthique : on en parle, on anticipe les problèmes éventuels, on tente de résoudre au mieux ceux qui se posent.
Exemples concrets d’activités
Voici quelques exemples d’activités que nous avons réalisées avec la team HCI de l’Université du Luxembourg :
(7-min pitch) Les highlights de la conférence Interaction 18
(7-min pitch) Le GDPR et ses implications pour nos pratiques
(Idéation) Design Sprint : comment concevoir la meilleure expérience possible pour les participants à un design sprint ? (Méthode : UX cards)
(Stratégie) Stakeholders survival kit : quelles méthodes peut-on utiliser (ou adapter) pour soutenir l’implication des parties prenantes dans le process UX ? (Méthode : idéation puis création d’un kit de survie physique contenant 6 méthodes maximum)
(Idéation) Comment concevoir un keynote talk sur l’UX qui soit conçu comme une expérience et engage les participants ? (Méthodes reverse brainstorming et cheatstorming)
(Prototypage) Design studio express pour conception d’une appli
(Evaluation) Prétest d’un protocole d’entretien utilisant la méthode des experience narratives sur le thème des expériences mémorables au musée
(Analyse de données) Création collaborative d’un diagramme d’affinités sur base de données de focus group
(Outil) Introduction à MaxQDA
(Role play) Comment réagir face à des participants peu bavards à la fin d’un test utilisateur ?
(Méthode) Test de la méthode du photoboard
(Ethique) Design fiction sur base de la conférence de Tatiana Toutikian (avec ultérieurement projection d’épisodes de Black Mirror au Ulab)
(Just for Fun – mais développe les compétences à l’oral ) Session d’impro Pecha Kucha.
Parfois on fait aussi une session d’une journée pour une seule activité, comme ça a été le cas pour le prototypage d’une interface conversationnelle ou la création de personas sur base de 60 entretiens. Si la tâche paraît énorme pour une ou deux personnes, à 10 on est super efficaces.
Brainstorming Day personas sur un jour
Conseils
Quelques conseils après 18 mois d’application au sein de notre équipe.
Sur la forme
– prévoir les dates à l’avance, avec un jour régulier si possible. Ca permet de pas avoir de conflits d’agendas, car les gens savent que le mardi après-midi, c’est brainstorming day.
– le côté convivial est important. Boissons, petites spécialités maison, chocolats et j’en passe. L’ambiance est détendue, c’est du travail mais clairement le meilleur moment de la semaine !
– ne pas négliger l’espace. On a la chance d’avoir un lieu dédié pour l’équipe et aménagé pour soutenir tout type d’activités : notre User Lab. C’est clairement notre QG, et ça aide beaucoup d’avoir cet espace unique (début 2017 on a fait les premières sessions dans des salles de réunion ou salles de classe >> beaucoup plus contraignant !). On a aussi testé des sessions en plein air, mais ça marche pas pour toutes les activités (et à Luxembourg y’a souvent du vent).
– documenter les sessions : il va se passer beaucoup de choses et vous voulez en avoir une trace. Fréquemment on se dit : « c’était pas mal le icebreaker qu’on avait testé, tu te souviens encore comment on avait fait ? on a le template » ou bien « les idées qu’on avait générées pour le projet Y, ça pourrait bien me servir maintenant, tu sais où je peux les trouver ? ». On a débuté avec un dossier Dropbox partagé pour mettre les templates d’activité, résultats et photos mais c’était pas très vivant. On utilise à présent AirTable pour garder une trace des sessions (et de tous nos projets en général) et ça fonctionne super bien. Avec l’appli on peut ajouter chaque activité rapidement, mettre des tags et uploader des images, via la version desktop on ajoute les templates.
Petite astuce complémentaire : on profite de nos brainstorming days pour faire de belles photos de gens qui travaillent et collaborent pour nos slides. Seul hic : on a toujours pleins de nourriture sur les photos 🙂
– bien délimiter les activités. On ne peut pas résoudre tous les problèmes du monde en 1h. On a remarqué que quand les gens ne savent pas vraiment ce qu’ils veulent parce qu’ils n’ont pas formulé les choses clairement, alors ça patauge et ce n’est pas efficace. Ceci dit, il arrive pour des raisons diverses qu’on déborde sur le timing parce que ça prend plus de temps que prévu ou que l’équipe est super inspirée sur le sujet. Dans ce cas c’est bien de savoir si l’une des activités au planning est moins urgente et peut être décalée à la fois prochaine.
– demander aux gens de préparer leurs activités. Notre métier c’est (entre autres) de faciliter des sessions de groupe, pas de raison de déroger à la règle sans préparation aucune. Si on fait une séance d’idéation, alors on va tester des méthodes de créativité différentes à chaque fois pas juste de simples brainstormings. Donc on arrive un peu préparé, on a une activité sympa et engageante, de petits templates etc. On considère nos collègues comme des participants et on les traite avec la même attention. Ca permet d’ailleurs aux plus juniors de s’entraîner à la facilitation de groupe.
>> En gros, demandez aux membres de l’équipe d’être des facilitateurs. Si vous animiez un workshop, vous ne viendriez pas sans aucune préparation, et sans idée précise de ce que le groupe doit faire.
– avoir des invités : on a régulièrement des invités qui viennent animer une session ou juste participer aux activités. Ca permet d’évangéliser auprès d’autres collègues ou de parties prenantes, d’enrichir nos perspectives et de développer des collaborations.
Préparez les activités et expérimentez de nouvelles méthodes
Est-ce durable ?
Cela fait 18 mois qu’on a mis ça en place et ça a toujours le même succès. Les slots sont toujours tous pris car chacun a compris le potentiel d’avoir du feedback si riche régulièrement. Les gens partagent naturellement, s’entraident, et sont courant des projets de toute l’équipe ce qui facilite pas mal de choses en dehors des sessions aussi. Cela facilite aussi l’intégration de nouveaux collègues quand l’équipe s’agrandit.
Au niveau personnel, ça me permet de gagner un temps précieux pour conseiller les doctorants ou collègues : si je donne un conseil individuel, je dois le répéter plusieurs fois pour que tout le monde en profite. Ici, on mutualise. Et j’apprend autant du groupe que l’inverse.
Une fois de temps en temps, on consacre l’un des grands slots à réfléchir sur comment améliorer les sessions de brainstorming days. Qu’est ce qui marche bien ? ou moins bien ? Qu’est ce qu’on garde ou qu’on change ? Et on itère sur nos propres pratiques.
En conclusion, ou comment convaincre votre chef ?
Nos brainstorming days sont basés sur le principe que chaque activité bénéficiera à la fois à la personne qui la mène mais aussi à l’ensemble du groupe. Etre inspiré par de nouvelles méthodes/outils/théories, questionner et améliorer ses propres pratiques, apprendre à se connaître, débuter des collaborations, partager des problèmes éthiques … le tout dans une ambiance stimulante et bienveillante.
« Une fois tous les 10 jours personne ne travaille pour les clients et on est tous ensemble en équipe avec des snacks et des activités funs » –> J’entends déjà ceux qui diront que dans leur entreprise/agence c’est clairement impossible car c’est sûr, eux n’ont pas le temps (je l’ai déjà entendu plusieurs fois). Mais contrairement à ce que l’on peut penser les brainstorming days nous font gagner un temps fou.
C’est du développement d’équipe et du développement personnel pour chacun. On résout les problèmes bien plus vite et avec plus d’efficacité. On est plus créatifs et plus stratèges. On pré-teste toutes nos activités et grâce à cela on délivre avec une bien meilleure qualité. On a une équipe plus mature, plus collaborative, plus stratégique, plus bienveillante.
Les mots clés : partager, expérimenter, inspirer !
J’ai trouvé cette article inspirant. Merci.