Cheatstorming : brainstormer sans générer d’idées

Le cheatstorming est une forme de brainstorming qui, paradoxalement, ne comprend pas de phase de génération d’idées ! Son nom provient de l’anglais cheat qui signifie tricher. Et effectivement, on triche un peu (ou disons qu’on recycle ^^) dans cette variante puisque vous allez inviter vos participants à réutiliser des idées générées dans de précédentes séances de brainstorming (sans relation avec la thématique) pour penser différemment et produire des concepts innovants.

Mais pourquoi et comment réutiliser des idées émises dans des contextes qui n’ont absolument rien à voir avec votre problématique actuelle ?

Le principe du cheatstorming est justement de stimuler la créativité en introduisant des stimuli incongrus. Bien que les post-its utilisés pendant la séance n’auront rien à voir avec la problématique de leur projet, la réaction naturelle des participants sera de trouver un lien entre la question posée et l’idée présentée, malgré ce qui les oppose. Parmi ces idées insolites ou surprenantes, certaines vous feront envisager votre problème sous un angle novateur !

Mise en pratique

Pour réaliser une séance de cheatstorming (cf. schéma ci-dessous) :

• A chaque fois que vous ferez un brainstorming avec votre équipe, peu importe la problématique, conservez toutes les idées proposées par les participants : retenues ou non, bonnes ou « mauvaises », gardez précieusement l’ensemble des post-its.

• Après avoir récolté les idées de plusieurs brainstorming distincts (3 au minimum pour avoir une variété et un grand nombre de post-its), sélectionnez aléatoirement 10 post-its (donc 10 idées).

• Lors de votre séance de cheatstorming, présentez ces idées au groupe comme si elles étaient les réponses à votre nouvelle problématique.

• Le groupe trie directement les idées fournies et sélectionne les 4 plus pertinentes par rapport au problème. On répète le processus 4 fois, pour avoir une quinzaine d’idées exploitables.


• Les idées sont alors adaptées au nouveau contexte et représentées sous forme de concepts. 
Les idées de base utilisées dans le cheatstorming n’ont pas été générées par les participants de la séance. Cependant, elles sont interprétées comme des possibilités et donnent ainsi lieu à de nouvelles idées pertinentes.

Processus cheatstorming

Exemples

Voyons deux exemples pour rendre les choses plus concrètes.

Comment pourrions-nous illuminer à faible coût les grandes villes pour réduire la criminalité nocturne ?

Dans leur article, Faste et al. (2013) utilisent le cheatstorming pour répondre à la question « Comment pourrions-nous illuminer à faible coût les grandes villes pour réduire la criminalité nocturne ? » Parmi les post-its des séances de brainstorming précédentes (sans aucun rapport avec cette question), les designers sont surpris de voir que 3 concepts sont basés sur des écrans qui émettent de la lumière. L’idéation les mène à imaginer une double fonction des écrans comme sources lumineuses et comme dispositifs publics d’appel des secours en cas d’agression. Un autre post-it contient l’idée « Airbag pour marcher », qui leur fait penser que les sources lumineuses pourraient être incluses dans les vêtements des gens plutôt que dans le mobilier urbain. Sans le cheatstorming, pas sûr que l’équipe aurait pensé à cette « inversion » de problématique.

Comment peut-on engager les participants et augmenter le niveau d’interactivité d’une conférence sur l’UX ?

J’ai utilisé le cheatstorming lors de la préparation de mon keynote d’ouverture à la conférence UXPA 2018. La question à laquelle j’ai demandé aux participants de répondre était : « Comment peut-on engager les participants et augmenter le niveau d’interactivité d’un talk ? » Comme le requiert la méthode, j’ai collecté en amont depuis plusieurs mois tous les post-its des différentes sessions de brainstorming, incluant des sessions par d’autres groupes issus d’autres disciplines. J’ai tiré au sort aléatoirement 10 post-its dans cette pile, pour chacun de mes 3 groupes de participants. Ils ont ensuite voté pour les 4 idées les plus pertinentes des 10 idées prédéfinies. Pour cela, chaque membre du groupe avait 4 votes individuels (représentés par 4 legos ou 4 gommettes). Les post-its ayant le plus grand nombre de points ont été sélectionnés. Les idées ex-aequo ont été discutées par le groupe jusqu’à ce qu’un consensus soit atteint pour avoir 4 post-its.

 

Chaque groupe a ensuite du imaginer comment chaque post-it répondait à la problématique. C’est ici que les participants ont du faire des liens entre des idées qui n’avaient initialement rien à voir avec ma question de comment concevoir une conférence engageante et interactive. Pour cela, j’ai distribué un template (Template cheatstorming EN FR), reprenant la problématique et laissant de la place pour retranscrire les idées issues du vote. La tâche des participants a été d’opérationnaliser comment l’idée répondait à la question, par exemple :

  • pour l’idée « donner un score », les idées concrètes ont été de « faire un sondage en live pendant le talk » ou de donner la possibilité à l’audience de « choisir en avance le contenu du talk ».
  • pour l’idée « utiliser des manuels ou du matériel », le concept d’un livret à distribuer aux participants a été évoqué (et je l’ai mis en place avec succès durant mon talk) mais aussi celle de faire du live sketching (avec une petite carte d’instructions) ou d’offrir les manuels les plus pertinents du domaine par tirage au sort.

Pour fertiliser les idées, j’ai ensuite demandé à chaque groupe de donner sa feuille à un autre groupe qui a ajouté des idées complémentaires ou a élaboré davantage les idées du premier groupe (sur l’image suivante, les idées du bas en noir). Cette étape permet à chacun de voir les post-its choisis par les autres (il y a eu quelques blagues sur certains donc les autres groupes étaient curieux de savoir ce qui était si drôle), de contribuer, et de débattre tous ensemble à la fin de l’idéation. Au final, 6 templates de groupe collectés en 1h30 avec des dizaines d’idées intéressantes !

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Si vous testez la méthode, n’hésitez pas à partager votre expérience.

Références

Faste, H., Rachmel, N., Essary, R., Sheehan, E. (2013). Brainstorm, chainstorm, cheatstorm, tweetstorm: new ideation strategies for distributed HCI design. Proc. CHI 2013.

Lallemand, C. (2018). UXPA 2018 international conference – Opening keynote. Eventually everything connects. http://uxpa2018.org/sessions/opening-keynote

UX Cards – une approche psychologique du design UX

carte relationnel appartenanceLes UX Cards ont pour but de soutenir la conception et l’évaluation de l’expérience utilisateur dans les systèmes interactifs. Cet outil est basé sur une approche psychologique de l’expérience.

L’épanouissement des besoins psychologiques fondamentaux est considéré ici comme l’un des principaux moteur d’expériences positives avec les technologies. Cela signifie en fait que pour concevoir des produits « expérientiels », les concepteurs doivent considérer les systèmes interactifs comme des moyens d’épanouir des besoins psychologiques et non uniquement comme des moyens de réaliser des buts orientés tâche.

Le set est pour le moment composé de 10 cartes :

  • Les cartes besoins décrivent les 7 principaux besoins humains (transposables au domaine technologique). Au recto, chaque carte présente deux visuels opposés positifs vs. négatifs. Au verso, chaque carte fournit une définition du besoin, les concepts associés, ainsi que des exemples de sentiments ou d’activités liées à ce besoin.
  • Les cartes instructions présentent des exemples de techniques d’idéation pouvant faciliter la génération d’idées avec les UX Cards. N’hésitez pas à être créatifs dans l’utilisation des cartes, qui peuvent être combinées à de nombreuses techniques de créativité ou d’autres méthodes comme le design studio.

« Les besoins psychologiques sont des qualités particulières de l’expérience dont chaque individu a besoin pour s’épanouir » Sheldon et al. 2010

Comment utiliser les UX Cards ?

Les UX cards sont un outil pragmatique qui accompagne professionnels et chercheurs dans la conception et l’évaluation de l’UX. Elles décrivent sept catégories d’expériences que les professionnels de l’UX tenteront de concevoir, principalement lors de séances d’idéation. Elles servent également à la formation des futurs professionnels du domaine. Elles existent en français et en anglais.

Pour la conception : En conception, les UX Cards peuvent être utilisées pour générer des idées de conception et donner au produit une personnalité particulière. Lors d’un brainstorming, avec ou sans utilisateurs, elles constituent des sources d’inspiration. Deux cartes d’instructions présentent des techniques de génération d’idées avec les cartes.

Pour l’évaluation : En évaluation, les UX Cards sont utilisées comme support d’une évaluation de la capacité d’un système interactif à créer une UX positive, par l’épanouissement d’un ou plusieurs besoins fondamentaux. L’évaluation peut être menée par des experts avec ou sans utilisateurs.

Pour la formation : Les UX Cards peuvent être utilisées pour la formation des futurs professionnels de l’UX. Elles permettent de faire découvrir l’approche par les besoins et de développer chez les étudiants une certaine sensibilité pour les théories liées à l’expérience utilisateur.

Prochaines étapes

Les UX Cards sont en constante évolution et plusieurs extensions sont prévues à l’avenir, notamment au niveau :

  • des techniques d’idéation accompagnant les cartes besoins
  • de templates de travail soutenant la démarche d’utilisation des cartes
  • de cartes additionnelles couvrant d’autres théories psychologiques en lien avec l’UX design
  • d’instructions spécifiques soutenant l’évaluation à l’aide des cartes

Des outils complémentaires sont également en cours de développement pour créer un toolkit complet autour de la théorie des besoins UX.

Vous pouvez d’ailleurs contribuer aux travaux de recherche sur les UX cards, en recueillant des observations lors de leur utilisation.

Téléchargez gratuitement les UX Cards !

Je vous conseille d’imprimer les cartes au format A6, sur du papier cartonné épais (les plastifier leur donne un effet encore plus sympa). Cet outil est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution-Pas d‘Utilisation Commerciale-Pas de Modification 4.0 International.

Summerschool archi 01/09/2016
Concevoir pour l’expérience utilisateur avec les UX cards