Votre toolkit UX en français

Ce toolkit est focalisé sur les méthodes et outils académiques qui peuvent s’avérer utiles en pratique, et qui existent en français (ou que j’ai traduit avec l’accord des auteurs). J’ai évoqué la plupart de ces méthodes lors de mes conférences ou dans le livre Méthodes de design UX, où elles sont décrites bien plus en détail avec une approche pédagogique vous permettant de les appliquer correctement. Les outils francophones sont rares mais je mettrai l’article à jour dès que j’en déniche ou en traduit (et valide) un autre !

Si vous utilisez l’un des outils présenté dans ce toolkit, n’hésitez pas à m’envoyer votre feedback sur son usage en pratique : dans quel contexte vous l’avez utilisé, ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas, ce qui est facile ou non, comment vous l’avez adapté à vos besoins, si cela vous a apporté des résultats exploitables, quels livrables vous en avez tiré, … Il est réellement temps de construire plus de liens entre recherche et pratique et nous avons besoin mutuellement les uns des autres pour relever les challenges de l’UX design !


Outils d’idéation et de conception UX

UX Cards – Conception pour l’expérience utilisateur

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Les UX Cards (Lallemand, 2015) sont basées sur une approche psychologique de l’expérience utilisateur. L’épanouissement des besoins psychologiques fondamentaux est considéré comme l’un des principaux moteurs d’expériences positives avec les technologies. Pour concevoir des systèmes ayant une UX positive, les concepteurs doivent les considérer comme des moyens d’épanouir des besoins psychologiques, et pas uniquement des moyens de réaliser des tâches. Les 7 principaux besoins psychologiques transposables aux produits et services sont décrits sous forme de cartes pouvant soutenir la conception et l’évaluation. Le set est composé de sept cartes besoins et deux cartes d’instructions. Les UX Cards existent en anglais et en français.

Référence : Lallemand, C. (2015). Towards Consolidated Methods for the Design and Evaluation of User Experience. (Doctoral dissertation). University of Luxembourg.

Lien : https://uxmind.eu/portfolio/ux-design-and-evaluation-cards/

Téléchargement (version FR) : https://carinelallemand.files.wordpress.com/2015/12/ux-cards_lallemand_fr_v1.pdf

PLEX Cards – Conception d’expérience ludiques

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Les PLEX Cards (Lucero & Arrasvuori, 2010) sont focalisées sur la conception d’expériences ludiques. Elles sont basées sur le cadre conceptuel PLEX (playful experiences) décrivant 22 catégories d’expériences ludiques. Deux techniques d’idéation sont proposées pour accompagner les PLEX Cards : PLEX Brainstorming (pour des idées nombreuses, rapidement) et PLEX Scenarios (pour des idées plus élaborées). Existent en français, anglais, espagnol ou allemand.

Référence : Lucero, A., & Arrasvuori. J. (2010). PLEX Cards: a source of inspiration when designing for playfulness. Proc. Fun and Games 2010. New York, USA: ACM, 28-37.

Lien : http://www.funkydesignspaces.com/plex/

Téléchargement : http://www.funkydesignspaces.com/plex/PLEX_Cards_French.pdf

Critères de persuasion technologique – Concevoir des interfaces persuasives

UX Mind persuasion technologique

Cette grille permet d’analyser les aspects persuasifs des interfaces technologiques selon 2 dimensions (aspects statiques vs. aspects dynamiques) et 12 critères principaux. Elle peut être utilisée pour réaliser une évaluation experte de la dimension persuasive des interfaces ou servir de guide pour orienter les choix de conception. Pour chaque critère, une définition, une justification ainsi que des exemples sont fournis.

Référence : Nemery, A. Elaboration, validation et application de la grille de critères de persuasion interactive. Psychologie. Université de Metz, 2012.

Lien : http://wp.me/a2i3pb-hJ

 


 

Outils d’évaluation UX

AttrakDiff – Questionnaire d’évaluation UX

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Le questionnaire AttrakDiff (Hassenzahl, Burmester & Koller, 2003) est l’un des outils d’évaluation de l’expérience utilisateur les plus utilisés au niveau académique. Initialement développé en allemand, il a récemment été traduit et validé en français (Lallemand et al., 2015). L’AttrakDiff repose sur le modèle théorique proposé par Hassenzahl pour expliquer la qualité perçue d’un système interactif. Il comprend 28 items répartis en 4 sous-échelles (qualité pragmatique, qualité hédonique-stimulation, qualité hédonique-identité, attractivité globale).

Référence FR : Lallemand, C., Koenig, V., Gronier, G., & Martin, R. (2015). Création et validation d’une version française du questionnaire AttrakDiff pour l’évaluation de l’expérience utilisateur des systèmes interactifs. Revue européenne de psychologie appliquée.

Lien : https://uxmind.eu/2015/09/30/outil-attrakdiff-version-francaise/

Bientôt : les versions françaises du User Experience Questionnaire et du questionnaire meCUE !

Complétion de phrases – Evaluation qualitative et projective de l’UX

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La complétion de phrases est une méthode qualitative d’évaluation de l’UX et/ou d’exploration des besoins et valeurs des utilisateurs. Les débuts de phrases sont des amorces qui doivent aider l’utilisateur à penser aux aspects expérientiels de l’interaction et à exprimer son ressenti de manière semi-structurée. Les résultats sont moins fastidieux à analyser que ceux obtenus à partir d’entretiens. Ils sont évidemment plus longs à analyser que les résultats d’un questionnaire, mais ils fournissent une information plus détaillée, notamment sur les émotions négatives.

Débuts de phrase et instructions disponibles prochainement !

 

Test des 5 secondes – Evaluation de la première impression

UX Mind votre toolkit en FR.001Le test des 5 secondes, que l’on retrouve aussi quelquefois sous les appellations Quick-Expo- sure Memory Test ou Rapid Desirability Testing, est une méthode qui recueille la première impression que les utilisateurs se forment spontanément d’un système. Le test consiste à présenter une interface statique à l’utilisateur, pendant exactement cinq secondes, puis à recueillir sa première impression à l’aide d’un court questionnaire.

Test des 5 secondes (instructions + questions) : https://carinelallemand.files.wordpress.com/2016/06/le-test-des-5-secondes.pdf

 

UX Curve – Evaluation rétrospective de l’UX en situation d’entretien

UX Mind votre toolkit en FR.003Après une période d’usage étendu, les courbes d’évaluation UX permettent d’analyser rétrospectivement les évolutions temporelles et fluctuations de l’expérience des utilisateurs en une seule session. Dans les méthodes d’évaluation par courbes, les participants dessinent plusieurs courbes pour décrire comment leur expérience avec un système a évolué à travers le temps. Chaque courbe représente une dimension particulière de la relation utilisateur-produit (utilisabilité, attractivité…). La méthode UX curve, développée par Kujala et al. (2011), est basée sur des templates de courbes en format papier. En session individuelle, on demande à un participant de dessiner des courbes représentant son expérience avec plusieurs dimensions du produit. Les dimensions évaluées sont l’expérience globale, l’attractivité, l’utilisabilité, l’utilité et le volume d’usage. Pendant qu’il trace les courbes, le participant explique à voix haute les raisons des changements dessinés et annote ses graphiques.

Templates UX Curve en français (traduction C. Lallemand)

Guidelines for using the UX Curve method (anglais)

Référence : Kujala, S., Roto, V., Väänänen-Vainio-Mattila, K., Karapanos, E., Sinnelä, A. (2011). UX Curve: A method for evaluating long-term user experience. Interacting with Computers, 23, pp. 473-483.

Heuristiques UX de Colombo & Pasch – Evaluation experte basée sur la théorie du flow

UX Mind votre toolkit en FR.006Les 10 heuristiques de Colombo & Pasch (2012) sont dérivées de la théorie du flow, appliquée aux Interactions Homme-Machine. La théorie du flow est une théorie psychologique développée par Mihaly Csikszentmihaly, qui ne concerne pas initialement le domaine des IHM. Le flow est décrit comme une expérience optimale. Selon les auteurs, cette liste d’heuristiques UX peut être utilisée pour la conception ou l’évaluation de systèmes interactifs. Colombo et Pasch revendiquent une approche discount de l’évaluation de l’UX, avec une liste « conçue comme un moyen économe en ressources pour garantir la bonne UX d’un produit quand le temps et l’argent sont rares ».

Lien : https://uxmind.eu/2014/08/14/10-heuristiques-pour-une-ux-optimale-de-colombo-et-pasch/

 

Les 10 heuristiques UX d’Arhippainen (2013)

Dans la lignée des heuristiques d’utilisabilité développées dans les années 1990, plusieurs auteurs ont proposé récemment des heuristiques UX. Dans un précédent article, je vous ai parlé des 10 heuristiques pour une UX optimale de Colombo & Pasch (2012), basées sur la notion de flow (ou expérience optimale). Nous allons découvrir aujourd’hui des heuristiques UX qui se veulent plus génériques, développées par Leena Arhippainen, chercheuse en UX à l’Université de Oulu en Finlande.

Evaluation heuristique et UX

Dans les années 1990’s, Jakob Nielsen formalisait ses 10 heuristiques d’utilisabilité. Ces dernières peuvent être utilisées pour réaliser une évaluation heuristique de l’utilisabilité d’un système ou d’un produit. Pour cela, un petit groupe d’évaluateurs examine l’interface et juge de sa compliance avec ces principes d’utilisabilité. Suivant les évolutions du champ des IHM, plusieurs ensembles d’heuristiques ont été développés pour évaluer des dimensions spécifiques de l’interaction allant au-delà de l’utilisabilité.

Concernant l’expérience utilisateur, peu d’heuristiques UX existent à l’heure actuelle. La raison est sûrement à rechercher dans la subjectivité et la complexité de l’UX, qui peine à se résumer en 10 ou 15 principes de base à respecter ! En ce qui concerne les heuristiques UX « génériques », au niveau de la recherche seuls Arhippainen (2013) et Colombo & Pasch (2012) se sont essayés à l’exercice. Dans les deux cas, les heuristiques ont été publiées sous forme d’article court dans des conférences et n’ont pas fait l’objet d’études de validation : il faut donc rester prudent sur la validité de ces outils.

Alors même que l’utilisabilité est mieux définie et moins complexe à évaluer que l’UX, de nombreuses limites de l’évaluation heuristique de l’utilisabilité ont été soulignées. Ainsi, les résultats souffrent de variabilité liée aux experts qui réalisent l’évaluation (différents évaluateurs vont trouver différents problèmes pour la même interface) ou de la surestimation fréquente du nombre de problèmes réels, appelés « fausses alertes ». L’évaluation heuristique a été vivement critiquée pour sa faible validité et sa fiabilité limitée, il est donc recommandé de l’utiliser en combinaison avec d’autres méthodes centrées-utilisateur, tels que les tests utilisateurs.

Pour l’évaluation de l’UX, la problématique est encore plus critique. En effet, les challenges liés à l’évaluation de l’UX sont multiples et il n’est pas certain qu’une méthode d’évaluation experte soit capable d’y faire face. Un expert peut-il évaluer quelque chose d’aussi subjectif qu’une expérience ? Adopter le point de vue de l’utilisateur et mettre de côté son propre ressenti lors de l’évaluation ? L’UX est également dynamique et contextuelle (voir l’article UXMind sur la temporalité de l’UX), il est donc nécessaire que l’évaluation de l’UX prenne en compte ces facteurs contextuels et temporels.

Les 10 heuristiques UX d’Arhippainen

L’article d’origine est en anglais (sous le titre Ten User Experience Heuristics), je vous propose donc une traduction libre des heuristiques. L’article d’Arhippainen comprend une très courte introduction, suivie des 10 heuristiques, d’une brève conclusion et biographie de l’auteur ainsi que de 2 templates pour l’évaluation de l’UX à l’aide des heuristiques. L’article a été présenté sous forme de tutoriel lors de la conférence MUM’2013 (12th International Conference on Mobile and Ubiquitous Multimedia) en Suède. Ce n’est donc pas un article rigoureux de recherche, et la rigueur n’est d’ailleurs pas son fort !

L’article est très court et lacunaire et il est regrettable notamment que l’auteur ne donne aucune explication sur la démarche de construction des heuristiques. On ne sait pas d’où elles viennent, comment elles ont été rassemblées ni sélectionnées et on ne sait pas pourquoi on tombe sur le joli nombre de 10 (mise à part que cela sonne bien et que cela nous rappelle Nielsen !). Quand on s’y connait en recherche sur l’UX, on y reconnaît rapidement un méli-mélo dérivé de théories ou principes UX génériques, mais mon impression générale est que ces heuristiques sont un peu bâclées. Leur contenu n’est pas faux, et les heuristiques UX peuvent être un bon reminder lors de la conception ou de l’évaluation d’un système, mais leur formalisation manque de rigueur et de guidance.

Je vous laisse en juger par vous-même et me donner vos impressions en commentaires ! Voici les 10 heuristiques UX et leur explication :

1. Garantir l’utilisabilité

Les utilisateurs font l’expérience de l’utilisabilité. Il est important de veiller à ce que le produit ou service conçu soit utilisable.

2. Créer un produit dont l’utilité correspond aux valeurs de l’utilisateur

L’utilité d’un produit ou d’un service affecte l’UX. Une bonne utilité perçue permet de « pardonner » certains manquements au niveau de l’utilisabilité ou d’autres qualités du produit. L’utilité est étroitement liée aux valeurs de l’utilisateur : il compare l’utilité du produit à ses valeurs au moment où il décide de l’utiliser.

3. Dépasser les attentes de l’utilisateur

Souvent, les attentes de l’utilisateur sont négatives, et ce, sans aucune raison. Les attentes sont formulées via les expériences antérieures ou des rumeurs sur le produit, c’est pourquoi elles n’ont parfois rien à voir avec le produit lui-même. Le produit doit être en mesure d’attirer l’attention de l’utilisateur d’une manière positive et d’inciter l’utilisateur à utiliser le produit. Puis, il doit dépasser ses attentes par sa facilité d’usage, le plaisir procuré, son utilité, ou toute autre qualité potentiellement recherchée.

4. Respecter l’utilisateur

Connaître les groupes d’utilisateurs cibles. Le profil d’un utilisateur a un impact fort sur la façon dont il va percevoir le produit ou le système. En complément des besoins et activités des utilisateurs, les concepteurs doivent comprendre les valeurs de l’utilisateur, ses expériences antérieures, son profil, ses compétences, ses limites, etc. Plus le service correspond à l’univers de l’utilisateur, plus les expériences vécues seront positives !

5. Concevoir le produit ou le service pour s’adapter au contexte prévu

Le service ou produit est toujours utilisé dans un contexte particulier : l’utilisateur utilise le produit dans un environnement physique particulier, seul ou avec d’autres personnes, selon des habitudes culturelles ou un mode de vie particulier, et à un moment donné. Tous ces facteurs contextuels ont un impact sur l’expérience utilisateur.

6. Fournir plusieurs façons d’interagir, laisser le choix à l’utilisateur

Les gens sont différents et ont des préférences différentes quant à la manière d’interagir avec des produits ou des services. Il est important de prévoir plusieurs modes d’interaction. Fournir des commandes manuelles, adaptatives, et quand c’est possible, des commandes tactiles, gestuelles, ou vocales.

7. Respecter la vie privée et la sécurité de l’utilisateur

Nous vivons dans un monde digital et axé sur la technologie. Même si les mentalités ont évolué et sont plus ouvertes aux solutions technologiques, les gens sont toujours préoccupés par les questions de confidentialité et de sécurité. L’expérience utilisateur est dépendante de l’incertitude sur la fiabilité du service au niveau de la confidentialité et de la sécurité.

8. Soutenir les activités de l’utilisateur, ne pas imposer

Tous les services devraient être présentés selon une perspective de support aux activités de l’utilisateur : par exemple, comment ce service me soutient dans mes actions et ma vie quotidienne. Le service n’est pas autorisé à forcer l’utilisateur. Forcer l’utilisateur aura un impact négatif sur l’UX.

9. Opter pour un design visuel parfait

Du point de vue de l’UX, les aspects visuels ont deux intentions. La première est que le design visuel peut améliorer l’utilisabilité en rendant l’interface utilisateur plus compréhensible, cohérente et guidante. La deuxième est de rendre l’interface utilisateur esthétiquement agréable par la bonne conception des aspects visuels. De plus, les choix effectués au niveau du design visuel, par exemple, l’utilisation des couleurs, peuvent avoir un impact sur l’UX à travers les valeurs véhiculées (comme la santé, la remise en forme, la nature, la beauté, etc).

10. Offrir un cadeau surprise

Cela signifie que les gens en veulent plus. L’utilisabilité n’est pas suffisante. Le téléphone façon « couteau suisse » n’est pas suffisant. Les utilisateurs ont besoin de ce petit plus qui les rendra heureux : dépassez leurs attentes, augmentez et améliorer les expériences utilisateurs. L’étendue de l’expérience ne doit pas diminuer. L’expérience utilisateur est le 7e sens que les gens utilisent pour ressentir les technologies – pour ressentir la vie au sein des technologies.

Avantages des heuristiques UX

  • Méthode discount en temps et en argent
  • Méthode basée sur des théories de l’UX (même si on regrette qu’elles ne soient pas explicitement mentionnées)
  • Les heuristiques peuvent être utilisées à la fois comme support de conception et d’évaluation

Limites

  • Non exhaustivité des dimensions couvertes par ces heuristiques
  • Pas d’information sur leur développement ni d’illustrations par des exemples concrets
  • Les heuristiques sont formulées de manière plutôt vague, elles ne donnent pas de recommandations précises
  • Les deux templates d’évaluation fournis sont basiques et n’offrent aucune guidance sur la manière de réaliser l’évaluation ou de présenter les données

Conseils pratiques

  • Dans la mesure du possible, toujours impliquer les utilisateurs dans la conception et l’évaluation ! Dans ce cas, les heuristiques peuvent être utilisées comme support de conception ou comme une étape d’évaluation préliminaire avant des tests utilisateurs.
  • Se servir des heuristiques uniquement comme d’un support d’évaluation, tout en reconnaissant qu’elles ne sont pas exhaustives
  • Préférer une évaluation experte (basée sur plusieurs ensemble d’heuristiques et sur votre expertise) à une évaluation heuristique à proprement parler
  • Combiner ces heuristiques UX avec d’autres heuristiques, critères ou guidelines
  • Utiliser des personas pour adopter le point de vue de l’utilisateur final lors de l’évaluation

Références

10 heuristiques pour une UX optimale de Colombo et Pasch

Parmi les méthodes d’évaluation en IHM, les méthodes d’inspection consistent en l’inspection de l’interface par un ou plusieurs évaluateurs. Développées dans les 1990’s par Jakob Nielsen en tant que méthodes de « discount usability », les méthodes d’inspection sont décrites comme peu coûteuses, rapides et simple à mettre en œuvre. L’évaluation heuristique est l’une des méthodes d’inspection les plus connues et utilisées depuis plus de 30 ans. Pour réaliser une évaluation heuristique, un petit groupe d’évaluateurs examine l’interface et juge de sa compliance avec des principes d’utilisabilité connus, appelés les « heuristiques d’utilisabilité ». Les heuristiques d’utilisabilité les plus connues sont les 10 heuristiques de Jakob Nielsen au niveau international et les critères ergonomiques de Bastien & Scapin au niveau francophone.

De nombreuses limites de l’évaluation heuristique ont été soulignées. Ainsi, les résultats souffrent de variabilité liée aux experts qui réalisent l’évaluation (différents évaluateurs vont trouver différents problèmes pour la même interface) ou de la surestimation fréquente du nombre de problèmes réels, appelés « fausses alertes ». L’évaluation heuristique a été vivement critiquée pour sa faible validité et sa fiabilité limitée, il est donc recommandé de l’utiliser en combinaison avec d’autres méthodes centrées-utilisateur, tels que les tests utilisateurs.

Il est intéressant de noter que des recherches ont montré qu’un nombre considérable de problèmes identifiés par un évaluateur expert sont en fait basés sur son expertise et son jugement personnel plutôt que sur l’ensemble d’heuristiques utilisés pour évaluer le système. Le terme d’évaluation « experte » serait donc à préférer à celui d’évaluation « heuristique ». L’évaluation experte désigne une évaluation moins formelle où un expert base son rapport non uniquement sur des heuristiques, mais plutôt sur sa connaissance des tâches utilisateur, de guidelines et standards en IHM et sur son expérience personnelle.

L’évaluation heuristique au-delà de l’utilisabilité

Suivant les évolutions du champ des IHM, plusieurs ensembles d’heuristiques ont été développés pour évaluer des dimensions spécifiques de l’interaction allant au-delà de l’utilisabilité. Nous pouvons mentionner des heuristiques pour les interactions humain-environnement dans les mondes virtuels (Bach, 2004), des heuristiques de l’expérience d’apprentissage ou de l’activité sociale (Malinen & Ojala, 2011) ou encore des heuristiques spécifiques aux jeux vidéos (Korhonen & Koivisto, 2006).

Concernant l’expérience utilisateur, peu d’heuristiques UX existent à l’heure actuelle. La raison est sûrement à rechercher dans la subjectivité et la complexité de l’UX, qui peine à se résumer en 10 ou 15 principes de base à respecter ! Prenons l’exemple des heuristiques UX de Väänänen-Vainio-Mattila & Wäljas développées en 2009 pour évaluer les services Web 2.0.  Leur set initial était composé de 7 heuristiques avec dès le départ une seule heuristique liée aux aspects subjectifs ou hédoniques de l’UX. Cette unique heuristique ayant été supprimée dans la version révisée de leur set, le champ de l’évaluation via cet outil reste ainsi restreint à des problèmes principalement pragmatiques, et s’éloigne donc de la nature de l’UX.

En ce qui concerne les heuristiques UX « génériques », au niveau de la recherche seuls Arhippainen (2013) et Colombo & Pasch (2012) se sont essayés à l’exercice. Dans les deux cas, les heuristiques ont été publiées sous forme d’article court dans des conférences et n’ont pas fait l’objet d’études de validation : il faut donc rester prudent sur la validité de ces outils. Colombo & Pasch soulignent dans leur article les limites de la méthode d’évaluation heuristique, mais ils justifient leur approche par les avantages apportés par cette méthode discount dans des contextes où les ressources ne permettent pas d’impliquer les utilisateurs.

Notre motivation à proposer des heuristiques UX vient de notre expérience. Nous avons tous les deux travaillé dans de petites sociétés de design et avons souvent vu à quel point le prérequis d’impliquer des utilisateurs était négligé, et ce pour un certain nombre de raisons, souvent par contrainte de temps ou de budget. C’est pourquoi nous pensons que la revendication de “discount usability” a tout de même du mérite : bien que l’évaluation heuristique ne soit pas la meilleure méthodologie d’utilisabilité à utiliser, c’est toujours mieux que de n’en utiliser aucune. Notre liste d’heuristiques est conçue comme un moyen économe en ressources pour garantir la bonne UX d’un produit quand le temps et l’argent sont rares. – Colombo & Pasch (2012)

A noter qu’à part l’évaluation heuristique, les méthodes d’évaluation de l’UX basées uniquement sur un savoir expert sont rares. Sur les 96 méthodes d’évaluation UX collectées par Vermeeren et al (http://allaboutux.com), seules 7 méthodes sont des méthodes purement « expertes ».

Les 10 heuristiques pour une UX optimale de Colombo & Pasch

Les 10 heuristiques de Colombo & Pasch (2012) (Université de la Suisse Italienne, Lugano) sont dérivées de la théorie du flow, appliquée aux Interactions Homme-Machine. La théorie du flow est une théorie psychologique développée par Mihaly Csikszentmihaly, qui ne concerne pas initialement le domaine des IHM. Le flow est décrit comme une expérience optimale.

L’article d’origine est en anglais (sous le titre Ten Heuristics for an optimal User Experience), je vous propose donc une traduction libre des heuristiques. Selon les auteurs, cette liste d’heuristiques UX peut être utilisée pour la conception ou l’évaluation de systèmes interactifs. Les 9 premières heuristiques renvoient directement aux 9 composantes du flow, tandis que la dernière (innovation conservative) provient d’une autre observation de Csikszentmihaly.

  1. Objectifs clairs
  2. Feedback approprié
  3. Attention focalisée
  4. Transparence ergonomique
  5. Appropriation technologique
  6. Equilibre entre challenges et compétence
  7. Contrôle potentiel
  8. Suivre le rythme
  9. Connaître les motivations des utilisateurs
  10. Innovation conservatrice

1 – Objectifs clairs (Clear objectives)

L’objectif du système doit être clair. Le système doit satisfaire, ou même mieux dépasser, les attentes des utilisateurs.

  • 1a) Le système doit être conçu avec les bonnes affordances afin d’informer explicitement les utilisateurs de son ou ses usages
  • 1b) Le système doit être fonctionnel, c’est-à-dire qu’il doit remplir les objectifs mis en avant par les affordances et répondre aux attentes des utilisateurs
  • 1c) Des fonctionnalités supplémentaires (autres que celles de base) sont les bienvenues, encore mieux si elles prévoient des utilisations alternatives du système: dépasser les attentes des utilisateurs est souvent un facteur prédictif d’une bonne expérience utilisateur

2 – Feedback approprié (Appropriate feedback)

L’interaction entre l’utilisateur et le système doit être maintenue à travers un feedback régulier (pour maintenir l’interaction), rapide (pour augmenter la conscience) et non intrusif (pour ne pas interférer avec l’expérience).

  • 2a) Le système doit fournir un feedback régulier et rapide
  • 2b) Le feedback doit être le moins importun possible
  • 2c) Le caractère “envahissant” du feedback doit être proportionnel au niveau de priorité de l’information donnée (pour établir une sorte de hiérarchie).

3 – Attention focalisée (Focused concentration)

Le système doit être simple et intuitif à utiliser. Il doit faciliter la concentration de l’utilisateur sur la tâche en cours en lui donnant du feedback significatif et en évitant les distractions non pertinentes.

  • 3a) Le système doit être utilisable
  • 3b) Le système doit fournir du feedback pertinent et significatif pour la tâche à accomplir
  • 3c) Le système doit éviter les distractions, c’est-à-dire les stimuli non pertinents pour la tâche à accomplir.

4 – Transparence ergonomique (Ergonomical transparency)

Le système doit pratiquement disparaître, être transparent pendant l’usage afin de permettre aux utilisateurs de se focaliser sur l’activité et d’être engagés dans l’expérience.

  • 4a) Le système doit être ergonomique, il doit être adapté aux compétences des utilisateurs et à leurs buts
  • 4b) Le comportement du système doit être cohérent et prévisible
  • 4c) Le système doit être conçu avec une intégrité esthétique, il doit être visuellement attrayant et les principes communs de design doivent être suivis; il doit également fournir un flux gracieux, c’est-à-dire que l’interaction entre les utilisateurs et le système doit être fluide.

5 – Appropriation technologique (Technology appropriation)

Les utilisateurs doivent pouvoir personnaliser et manipuler le système selon leurs particularités et leurs préférences. Ils doivent se sentir familiers avec le système, comme si ce dernier avait été conçu spécifiquement pour eux.

  • 5a) Le système doit être, dans une certaine mesure, personnalisable et manipulable par les utilisateurs à la fois dans son apparence et ses fonctionnalités;
  • 5b) Le processus de personnalisation doit être facilement accessible, et avoir un résultat prévisible
  • 5c) Fournir aux utilisateurs des choix multiples pour interagir avec le système (faire la même activité de différentes façons)

6 – Equilibre entre challenges et compétence (Challenges/skills balance)

Le système doit s’adapter à l’utilisateur dans le sens où il doit être conçu pour fournir, de manière dynamique, des challenges adéquats à la fois pour les utilisateurs novices, moyens et expérimentés.

  • 6a) Le système doit avoir une courbe d’apprentissage raide pour aider les utilisateurs novices
  • 6b) Le système doit encourager les utilisateurs à explorer et à découvrir toutes les caractéristiques et possibilités d’interaction
  • 6c) Le système doit fournir des fonctionnalités avancées ou des fonctions supplémentaires (par exemple, des accélérateurs, macros, réglages avancés, etc) et les rendre accessibles pour les utilisateurs intermédiaires / avancés.

7 – Contrôle potentiel (Potential control)

Le système doit donner le sentiment aux utilisateurs d’être libres de toutes contraintes, et, en même temps, d’être en contrôle de l’expérience.

  • 7a) Le système doit aider les utilisateurs à améliorer leurs compétences et à réduire la marge d’erreur dans la réalisation de leur activité
  • 7b) Le système ne doit pas donner l’impression aux utilisateurs d’être piégés. Éviter (autant que possible) de contraindre les actions des utilisateurs, leur fournir des stratégies de repli et rendre les actions facilement réversibles
  • 7c) Les utilisateurs doivent toujours être autorisés à activer ou désactiver les processus automatiques ou aides du système.

8 – Suivre le rythme (Follow the rhythm)

Le rythme du système doit s’adapter à l’utilisateur et au rythme de l’expérience.

  • 8a) Le rythme du système doit être adapté à l’activité pour laquelle il a été conçu;
  • 8b) L’expérience ne doit pas être interrompu par le système, mais les utilisateurs doivent être autorisés à suspendre l’interaction et à la redémarrer à partir de leur dernière action;
  • 8c) Les utilisateurs doivent avoir la possibilité d’accélérer ou ralentir le rythme de l’interaction.

9 – Connaître les motivations des utilisateurs (Know the user’s motivations)

Le système doit aider les utilisateurs à satisfaire leurs motivations au-delà de son usage, et à satisfaire leurs besoins psychologiques fondamentaux.

  • 9a) Le système doit être conçu en observant les utilisateurs finaux et l’activité qu’ils cherchent à accomplir, ce qui signifie que vous devez connaître vos utilisateurs d’abord
  • 9b) Cependant, connaître tous les types d’utilisateurs et d’activités possibles est impossible, c’est pourquoi le système doit être flexible et s’adapter à des utilisateurs variés, des activités variées et dans des contextes divers
  • 9c) Quand c’est possible, le système doit aider les utilisateurs à satisfaire les trois besoins psychologiques fondamentaux (au sens large) : le besoin de compétence, le besoin d’autonomie et le besoin de relationnel.

10 – Innovation conservatrice (Conservative innovation)

Le système doit être innovant (et conservateur à la fois).

  • 10a) Le système doit fournir un certain degré de nouveauté et de variété aux utilisateurs;
  • 10b) Le système doit être le résultat d’un compromis entre innovation et tradition, où la tradition désigne la compatibilité avec les systèmes connus et la conformité aux normes et standards;
  • 10c) Le système doit assurer l’interopérabilité pour s’intégrer facilement au contexte existant.

Avantages des heuristiques UX de Colombo & Pasch

  • Méthode discount en temps et en argent
  • Méthode basée sur une théorie psychologique (flow) solide
  • Les heuristiques peuvent être utilisées à la fois comme support de conception et d’évaluation

Inconvénients

  • Non exhaustivité des dimensions couvertes par ces heuristiques
  • Les heuristiques sont formulées de manière plutôt vague, elles ne donnent pas de recommandations précises
  • Les auteurs ne fournissent aucune grille d’évaluation ni critères d’évaluation. L’article d’origine donne un exemple pour chaque heuristique mais celui-ci n’est pas toujours très parlant.

Conseils pratiques

  • Dans la mesure du possible, toujours impliquer les utilisateurs dans la conception et l’évaluation ! Dans ce cas, les heuristiques peuvent être utilisées comme support de conception ou comme une étape d’évaluation préliminaire avant des tests utilisateurs.
  • Se servir des heuristiques uniquement comme d’un support d’évaluation, tout en reconnaissant qu’elles ne sont pas exhaustives
  • Préférer une évaluation experte (basée sur plusieurs ensemble d’heuristiques et sur votre expertise) à une évaluation heuristique à proprement parler
  • Combiner ces heuristiques UX avec d’autres heuristiques, critères ou guidelines (nous verrons prochainement 10 autres heuristiques proposées par Arhippainen).

Références

  • Colombo, L. and Pasch, M. (2012). 10 Heuristics for an Optimal User Experience. Proceedings of the CHI’2012 Altchi. ACM Press.
  • Csikszentmihalyi, M. (1990). Flow – The Psychology of Optimal Experience. Steps Toward Enhancing the Quality of Life. New York, Harper Perennial.
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