Après plusieurs mois de travail, puis plusieurs semaines d’attente, notre livre « Méthodes de design UX – 30 méthodes fondamentales pour concevoir et évaluer les systèmes interactifs » (éditions Eyrolles) est enfin en librairie ! 522 pages à découvrir sans attendre (rassurez-vous, on peut lire chaque chapitre indépendamment !)
Je suis impatiente d’avoir votre feedback et heureuse d’avoir concrétisé ce projet qui me tenait à coeur depuis longtemps pour transmettre les bonnes pratiques méthodologiques et les méthodes UX les plus innovantes.
Ne ratez pas l’exceptionnelle préface d’Alain Robillard-Bastien, qui met réellement en perspective l’UX dans une temporalité plus large des pratiques professionnelles.
Voici le résumé du livre et le sommaire :
Articulant théorie et pratique, cet ouvrage présente 30 fiches méthodologiques couvrant l’essentiel du design UX et de l’ergonomie des interactions homme-machine (IHM). Vous serez guidé pas-à-pas à travers les étapes de réalisation de chaque méthode et accompagné pour prendre les décisions les plus adaptées à votre projet. Chaque fiche méthode intègre égale- ment une partie théorique et des illustrations concrètes pour faciliter la compréhension. Véritable portfolio théorique et méthodologique, cet ouvrage est un guide indispensable à toute personne impliquée dans la conception de systèmes interactifs. Professionnels, chefs de projets, étudiants, enseignants et chercheurs y trouveront de précieuses ressources pour mener à bien leurs projets. Grâce aux méthodes d’UX design, créez des produits et des services qui attirent, qui captivent, qui enchantent et inspirent pour améliorer la vie de ceux qui les utilisent !
Au sommaire : Introduction au design UX ⍟ Planification ⍟ Définition du projet ⍟ Recrutement des utilisateurs ⍟ Déontologie et éthique ⍟ Exploration ⍟ Entretien ⍟ Focus group ⍟ Observation ⍟ Questionnaire exploratoire ⍟ Sondes culturelles ⍟ Idéation ⍟ Brainstorming ⍟ Cartes d’idéation ⍟ Design studio ⍟ Experience maps ⍟ Personas ⍟ Techniques génératives ⍟ Génération ⍟ Design persuasif ⍟ Gamification ⍟ Iconographie ⍟ Maquettage ⍟ Storyboarding ⍟ Tri de cartes ⍟ Évaluation ⍟ Complétion de phrases ⍟ Courbes d’évaluation UX ⍟ Échelles d’utilisabilité ⍟ Échelles UX ⍟ Évaluation des émotions ⍟ Évaluation experte ⍟ Inspection cognitive ⍟ Journal de bord UX ⍟ Test des 5 secondes ⍟ Tests utilisateurs
Voici le document de présentation de la version française de l’AttrakDiff, incluant les items pour la passation et les instructions pour le scoring. Vous trouverez plus d’informations dans l’article consacré au questionnaire dans la section Méthodes UX : https://uxmind.eu/2014/06/23/attrakdiff-evaluation-quantitative-ux/
La table ronde a été animée avec brio par Nabil Thalmann (Personae User Lab) et a permis de croiser les points de vue de trois expertes de l’expérience utilisateur. Un très bon moment passé avec mes collègues féminines Marie Petit et Patricia Vaillant et une audience attentive et intéressée !
Résumé de la table ronde : Le taux d’appropriation très rapide des smartphones, la multiplication des formats et des services proposés sur ce canal empêchent souvent de nous poser un instant pour savoir où l’on va. S’il faut se féliciter d’un nombre toujours plus important d’expérimentations sur ces devices, il faut aussi valider la valeur ajoutée apportée par le mobile aux utilisateurs. Cette conférence est l’occasion d’aborder différents enjeux liés au mobile (formats des supports, usages et besoins, fantasmes…) à travers le prisme de l’expérience utilisateur et le regard croisé de 3 acteurs différents: une entreprise, un UX designer et un docteur en UX.
Machines à cafés ou lave-vaisselles ultra sophistiqués, voitures qui se garent (et bientôt conduisent) toutes seules, le progrès technologique rend l’automatisation omniprésente dans nos vies quotidiennes. Cependant, qu’en est-il de l’expérience utilisateur ? L’automatisation nuit-elle à l’UX ? C’est ce qu’ont tenté de démontrer Marc Hassenzahl et Holger Klapperich de l’Université de Folwang (Allemagne) en réalisant une étude sur l’expérience de faire du café. Leur but avoué ? Nous sensibiliser aux coûts expérientiels de l’automatisation et nous proposer des alternatives au « tout automatique ». J’ai assisté à la présentation de cette étude l’an passé lors de la conférence NordiCHI’2014 en Finlande et les débats ont été passionnants. Voici donc un résumé de l’étude et de ses principaux résultats.
Dans leur article intitulé « Convenient, Clean, and Efficient? The Experiential Costs of Everyday Automation » (Pratique, propre et efficace ? Les coûts expérientiels de l’automatisation quotidienne), les auteurs présentent les résultats d’une expérimentation comparant l’expérience de faire du café avec une machine automatique de type Senseo, à celle de faire du café avec une cafetière italienne. La comparaison semble simpliste et binaire : automatique vs. manuel. Mais la discussion des résultats est justement orientée vers la nuance.
La majorité des activités humaines étant « médiées » par la technologie, le propos ici n’est pas de remettre en question l’automatisation, mais plutôt d’explorer différents degrés d’automatisation et leur impact sur l’UX. Si on adopte une perspective de design, il est indispensable de comprendre l’impact d’une configuration technologique particulière sur l’expérience d’une activité. La question de recherche est la suivante : l’automatisation impacte-elle l’expérience utilisateur ? Si oui, de quelle manière ? En comprenant comment l’automatisation impacte l’expérience, nous serons alors en mesure de mieux concevoir l’automatisation dans la vie quotidienne, afin de créer de meilleures expériences.
L’expérimentation : Senseo vs. cafetière italienne
Les auteurs ont choisi l’exemple de la machine à café pour tester sur hypothèse sur l’automatisation car elle illustre bien l’automatisation dans la vie de tous les jours, et représente une activité routinière, mais ancienne et ancrée dans de nombreuses cultures. On trouve également une grande variété à la fois dans les pratiques et dans les technologies existantes.
Pour les besoins de l’expérience, vingt participants (entre 20 et 47 ans) ont été invités à faire du café, de deux manières différentes : en utilisant une machine automatique de type Senseo, ou de façon « manuelle » en utilisant une cafetière italienne. Pour ceux d’entre vous qui n’ont jamais utilisé de cafetière italienne, voici une vidéo qui vous montre à quoi ressemble la manoeuvre : https://www.youtube.com/watch?v=UD4b4FXPWII. L’expérience a été menée dans une vraie cuisine afin de recréer un contexte d’utilisation réaliste. L’ordre des conditions a été contre balancé, de manière à ce que la moitié des participants utilisent d’abord la cafetière Senseo puis la cafetière italienne, l’autre moitié utilisant d’abord la cafetière italienne puis la Senseo.
Pour la Senseo, les participants devaient : remplir le réservoir d’eau, insérer une dosette, appuyer sur le bouton On, placer la tasse dans la machine, faire du café, éteindre la cafetière, jeter la dosette usagée, et nettoyer si nécessaire.
Pour la cafetière italienne, les participants devaient : mettre des grains de café dans un moulin à café manuel, moudre les grains, mettre la poudre obtenue dans le filtre de la cafetière, ajouter de l’eau, assembler la cafetière, allumer la gazinière, faire du café, éteindre la gazinière, jeter le café usagé et nettoyer si nécessaire.
Après chaque préparation, les participants été invités à remplir deux questionnaires et répondre à un court entretien sur les moments les plus positifs et négatifs du processus de préparation. Les questionnaires étaient centrés sur les affects (PANAS scale) et l’épanouissement des besoins UX (les mêmes que ceux de mes UX cards : https://uxmind.eu/portfolio/ux-design-and-evaluation-cards/).
Les résultats
Les moments positifs : Globalement, les moments positifs étaient plus diversifiés et plus orientés sur le process dans la condition manuelle. Alors que les participants de la condition automatique étaient focalisés sur le café en lui-même (donc le résultat), les participants utilisant la cafetière italienne ont appréciés certaines parties du process (moudre les grains par exemple), grâce à la stimulation des sens (l’odeur du café et le toucher). Ils se sont également sentis plus en contrôle du process et plus compétents, avec un rôle plus actif. La cafetière italienne requérant plus d’étapes et de savoir-faire, faire du café a été vécu par certains comme un petit succès. A l’inverse, dans la condition automatique, les participants n’ont que très peu évoqués le process et uniquement de manière détachée, comme quelque chose de « propre, pratique et efficace ».
Les moments négatifs : les moments négatifs diffèrent également entre les deux conditions. Mise à part des problèmes d’utilisabilité mineurs, peu de moments négatifs ont été reportés avec la Senseo. Cependant, cela n’implique pas que l’expérience ait été perçue comme positive. En fait, de nombreux participants se sont plaints de l’attente, chose qu’ils n’ont pas mentionné pour la cafetière italienne, malgré une durée 3x plus longue du process. Bien que plus rapide, l’automatisation transforme donc un process court en période négative d’attente. La Senseo vous décharge d’une activité, mais elle nécessite tout de même une interaction. Du coup, les personnes deviennent beaucoup plus sensibles à l’attente et à la progression du processus en lui-même. De plus, les interactions sont plus détachées et perçues comme inesthétiques. Evidemment, des moments négatifs ont aussi été reportés pour la condition manuelle : certaines parts du process sont perçues comme désagréables, comme moudre manuellement les grains ou jeter la poudre à café mouillée. Ce sont d’ailleurs deux bons exemples des challenges posés par une conception expérientielle de l’automatisation : la dosette de café est une solution au problème de la manipulation, mais avec un coût expérientiel puisqu’elle ôte aux utilisateurs une source de stimulation (l’odeur et le toucher de la poudre de café moulue). Idem pour le fait de moudre, qui constitue un effort physique, mais qui a été rapporté par de nombreux participants comme un moment positif du process.
Le challenge de design ici est d’explorer des moyens de concevoir ces interactions de manière à ce que les moments négatifs soient réduits tandis que les moments positifs soient accentués. Notons aussi que la condition manuelle montre aussi le côté sombre de l’expérience de compétence. En effet, il est possible de rater et de faire du mauvais café ! Les concepteurs de ce type de technologies évitent donc de confronter les utilisateurs avec des activités qui demandent des efforts. Mais l’étude de Hassenzahl et Klapperich montre l’échec a souvent été bien accepté, et vu comme un pas vers l’apprentissage d’une compétence nouvelle.
Des recommandations pour une conception plus expérientielle
L’automatisation est pratique et efficace, elle permet d’économiser du temps qui sera utilisé pour d’autres activités. Malheureusement, elle ôte à l’activité son potentiel expérientiel. Faire du café manuellement ou à l’aide d’une cafetière automatique modifie considérablement l’expérience utilisateur. L’automatisation focalise les gens sur le résultat, et non sur le process, qui perd son sens et devient une période d’attente précédent la consommation. Ce n’est pas nécessairement négatif, mais cela transforme une activité potentiellement intense au niveau expérientiel, en une activité « plate », sans intérêt. Voilà les coûts de l’automatisation du quotidien : l’appauvrissement de l’UX. Au-delà de l’exemple du café, l’idée est la même pour de nombreuses technologies quotidiennes et les voitures automatiques de Google ne manqueront pas d’appauvrir l’agréable expérience de la conduite automobile ! Conséquence de cet appauvrissement de l’UX : la perception de l’objet change pour ne devenir qu’un outil utile.
Selon les auteurs, le bien-être est une conséquence d’un engagement conscience dans la vie quotidienne. Plutôt que d’automatiser toutes les activités quotidiennes pour avoir plus de temps libre, ils préconisent plutôt de rendre les activités quotidiennes plus expérientielles, plus riches. Pour cela, il est nécessaire de bien comprendre les principes du design d’expérience, notamment des concepts d’épanouissement des besoins.
Concrètement, il ne s’agit pas uniquement de supprimer les moments négatifs en les confiant à la machine, car parfois cela supprimera également une source potentiel de plaisir. Il s’agit ici d’analyser en profondeur les moments positifs, négatifs mais aussi leurs interrelations. Les ergonomes retrouveront ici peut être avec joie la notion d’analyse de l’activité ! Le but n’est donc pas de supprimer l’automatisation, mais de nuancer le degré d’automatisation pour redonner sens et qualité UX à une activité tout en conservant l’efficacité et la praticité. Vous connaissiez les 50 nuances de Grey ? Appliquez dès à présent les 50 nuances UX de l’automatisation !
Et pour conclure, voici l’exemple du « Coffee Shaker » proposé par l’équipe de l’Université de Folkwang (Severin Luy) comme une alternative plus UX à la machine à café ! http://vimeo.com/39050532. Des idées pour rendre mon lave-vaisselle plus expérientiel ?
En panne d’inspiration ? Confrontés à une difficulté ou un blocage sur un projet ? Utilisez les stratégies obliques pour vous aider à penser différemment ! Développées dans les années 1970, les cartes « stratégies obliques » (oblique strategies en anglais) sont intemporelles. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une méthode UX à proprement parler, leur caractère énigmatique et ouvert à l’interprétation leur permet d’être utilisés dans toutes les situations, et notamment les situations de création.
Naissance des cartes stratégies obliques : une rencontre entre deux artistes
C’est à Brian Eno et Peter Schmidt que l’on doit en 1975 la création de ce jeu de cartes, qui comprenait à l’origine « 113 dilemmes qui en valent la peine », leur nombre ayant été étendu ensuite dans quatre éditions ultérieures (respectivement en 1978, 1979, 1996 et 2001). Basées sur le principe de « pensée latérale« , les cartes favorisent l’innovation en approchant un problème sous plusieurs angles et en faisant sortir le designer de son schéma de pensée habituel.
Les cartes sont nées d’une rencontre entre deux artistes, le premier musicien, le second peintre. Tous deux avaient l’habitude de prendre des notes sur leurs processus créatifs et de s’interroger sur des manières de contourner les blocages auxquels on peut faire face dans un processus de création.
L’auteur Brian Eno raconte que sa première stratégie oblique était « Reconnais tes erreurs comme des intentions cachées« . Or, l’un des conseil très similaire utilisé par son ami Peter Schmidt était : « Etait-ce vraiment une erreur ?« . C’est la mise en commun de leurs notes qui a donné naissance aux cartes stratégies obliques.
Comment utiliser les stratégies obliques ?
Le principe est si simple qu’il peut paraître déroutant : il suffit de suivre les conseils dictés par les cartes. Il s’agit parfois d’une action à réaliser, d’une citation énigmatique, d’un principe créatif. Parfois la carte paraît simple à comprendre, parfois elle est presque mystique. A ceux qui cherchent des règles claires et précises, présentées de manière rationnelle, passez votre chemin ! Ici il faut se prêter au jeu et laisser son esprit vagabonder sur les dilemmes qui nous sont présentés. Utiliser ces cartes, c’est une expérience en soi !
Selon les auteurs, il est possible d’utiliser les cartes de deux manières :
de manière aléatoire, une carte à la fois : choisir une carte au hasard et suivre le conseil dicté, même si celui-ci peut paraître vague ou sans lien avec l’action en cours
comme un paquet, un ensemble de possibilités : feuilleter et lire l’ensemble des cartes pour trouver des idées d’inspiration. Ici les cartes sont un ensemble de possibilités qui est passé en revue.
Voici quelques exemples de cartes pour vous donner un aperçu de leur contenu (mais il y en a de bien plus étranges !) :
Donne libre cours à ton impulsion la plus mauvaise
C’est tout à fait possible (après tout)
Enlève les éléments par ordre d’inimportance apparente
Que ferait ton meilleur ami ?
Où trouver les cartes ?
Les cartes « stratégies obliques » ont été développées en anglais, et de nombreuses applications mobiles ou sites web vous permettent de piocher une carte au hasard. Une traduction française circule également sur le net, sans que son auteur soit clairement identifié.
Et si vous aimez le côté « bel objet », il est encore possible d’acheter la 5e édition des cartes sous forme de coffret sur le site de Brian Eno (ci-dessous).
Voici les slides de ma présentation « Concevoir des expériences positives et engageantes L’UX Design de la théorie à la pratique » lors du World Usability Day 2014 à Bruxelles (organisé par le Café Numérique).
La procrastination est un sujet tendance, mais c’est surtout une fâcheuse tendance qui touche la majorité des gens. Qui ne reporte pas régulièrement actions à faire et bonnes résolutions au lendemain ? S’il existe de nombreuses applications de calendrier, rappels ou To-Do list, l’objet que je vais vous présenter aujourd’hui a pour avantage l’omniprésence et ce petit côté poétique qui créé une expérience utilisateur particulière.
« Ne jamais remettre au lendemain ce que l’on peut faire le jour même » : plus facile à dire qu’à faire ! Bien que nous soyons tous conscients des bienfaits de cette expression, nous n’agissons pas toujours de la sorte. Nous repoussons tout un tas de choses et d’actions que nous devons réaliser, souvent jusqu’à ce qu’une deadline ou une situation inconfortable nous mette la pression. Ce phénomène bien répandu est appelé procrastination. La procrastination peut être définie par le fait de reporter délibérément le commencement ou l’achèvement d’une action prévue. Le côté « planifié » de l’action est important : il s’agit bien de quelque chose que la personne a l’intention de faire. La procrastination est par ailleurs éloignée de tout raisonnement stratégique puisque la personne concernée sait qu’elle ferait mieux de réaliser la tâche pour avoir l’esprit tranquille. Les causes avancées sont multiples : le côté déplaisant de la tâche, le bénéfice abstrait ou lointain qui en sera retiré, ainsi que des différences individuelles (anxiété, estime de soi, besoin d’organisation).
ReMind: un « Pleasurable Troublemaker »
Décrit par ses concepteurs Jan Brechmann et Matthias Lashke comme un « Pleasurable Troublemaker » (i.e. un agréable fauteur de troubles), ReMind a pour but de provoquer une réflexion sur la procrastination et d’aider à l’éviter, en confrontant continuellement ses utilisateurs avec les objectifs personnels qu’ils se sont fixés.
ReMind a la forme d’un calendrier mural circulaire
L’objet se présente sous forme d’un calendrier circulaire de bois, fixé au mur (environ 65 cm de diamètre). Le cercle de bois est divisé en 31 sections, où son notés les jours du mois. Un mécanisme entraîne un mouvement rotatif qui change la date chaque jour. L’objet comprend aussi 10 aimants, remplis de post-its, sur lesquels il est possible d’écrire. Chaque aimant représente un objectif personnel. Le haut du cercle est une barrière qui piège les buts non réalisés. Quand deux aimants s’accumulent à cet endroit, le premier est éjecté et tombe sur le sol. ReMind lance donc littéralement les buts non réalisés aux pieds de l’utilisateur. Ramasser un aimant sur le sol revient à ramasser un but. Cela créé un moment de choix : l’utilisateur peut réaliser la tâche, la reporter à une date ultérieure en repositionnant l’aimant sur le calendrier ou l’abandonner en le « cachant sous le tapis ». Par ce choix tangible, ReMind créé un moment de « friction » qui incite l’utilisateur à la réflexion et à l’action.
L’une des principales recommandations anti-procrastination est de se fixer un nombre réaliste de buts, c’est pourquoi le nombre d’aimants est délibérément limité à 10. De plus, cela force une réflexion plus profonde sur le choix des objectifs à réaliser. De la même manière, il n’est possible de fixer qu’un seul aimant par jour. A noter que ReMind est plutôt adapté aux objectifs personnels à atteindre et moins aux tâches professionnelles.
Et les place sur une date choisie sur le calendrierL’utilisateur écrit ses buts sur les aimantsQuand la deadline est atteinte, l’aimant est éjecté et tombe au sol, forçant l’utilisateur à un choix
Etude du prototype de ReMind pendant 15 jours
L’étude décrite dans l’article de Lashke et al. (2013) est basée sur l’analyse interprétative phénoménologique. C’est une démarche de recherche qualitative qui se focalise sur l’examination détaillée des expériences humaines (Smith, Flowers, & Larkin, 2009) et étudie des cas singuliers en profondeur. Cette approche est pertinente dans la recherche en design, où l’attention du détail est importante.
ReMind après 2 jours d’installation chez Linda
Durant 15 jours, ReMind a été installé dans l’appartement de Linda, 40 ans. Plusieurs entretiens ont été menés (dont un avant l’installation et un après le retrait de l’objet) pour comprendre les comportements de Linda et son expérience utilisateur avec ReMind. Lors de l’entretien initial, les chercheurs ont exploré les tendances à la procrastination de Linda, ses justifications, ses strategies pour l’éviter, et les objectifs personnels qu’elle souhaiterait se fixer.
Après l’installation, Linda a d’abord été sceptique sur la capacité de ReMind de la soutenir dans le changement de ses mauvaises habitudes : « Allez, ce n’est qu’un objet sur le mur. Les concepteurs pensent-ils vraiment que ça peut me faire changer ?« . Mais le scepticisme initial a rapidement disparu « J’ai dû réviser mon opinion initiale sur l’objet. J’étais sceptique, et je pensais qu’il n’avait pas le pouvoir de changer mon comportement. Mais il l’a eu !« . Deux jours après l’installation, Linda avait déjà réalisé tous les buts et les avait replacé du côté droit du calendrier (voir photo). Elle explique l’importance du placement des aimants et la reflexion que cela apporte sur ses objectifs. Elle est également fière des objectifs réalisés et raconte que c’est une source de satisfaction : « Hey super ! Tout ce que j’ai mis sur les aimants je l’ai accompli rapidement, j’ai fait pleins de choses en peu de temps !« .
Linda explique que la force de ReMind vient de sa présence : « J’ai les objectifs devant les yeux, je ne peux pas les cacher au fond de ma mémoire. Chaque matin je regarde le calendrier et je me dis « ah oui c’est vrai, je voulais faire ça cette semaine« . De plus, une tâche qui s’approche de sa deadline devient une vraie préoccupation. L’autre avantage vient du fait qu’on peut encore voir quels objectifs on a déjà atteint (ceux que l’on remet à droite) et cela renforce le sentiment d’auto-efficacité : « Souvent on a l’impression de ne pas avancer et de ne rien avoir fait, mais en fait si, on fait beaucoup de choses et c’est bien de voir ce qu’on a déjà réalisé« . Finalement, Linda décrit sa relation à l’objet comme une coopération et non une soumission.
Elle évoque la possibilité de tricher et dit y avoir pensé au début, mais finalement elle a renoncé en se disant qu’elle ne pouvait pas se mentir à elle-même : « c’est facile de tricher et personne ne l’aurait su, il suffisait de déplacer un aimant… mais finalement ça n’était pas me rendre service à moi-même, à quoi bon se fixer des objectifs pour les repousser, non ce n’est pas la manière dont je veux que les choses soient !« . Finalement la possibilité de tricher si facilement donne l’effet inverse. Durant l’expérience, Linda explique qu’elle ne pense pas « que l’objet va lui manquer [à la fin de l’expérience], mais qui sait ? Je pourrais reprendre mes mauvaises habitudes« . Elle espère qu’elle saura garder les bonnes habitudes acquises et atteindre les objectifs qu’elle s’était fixée sur ReMind.
Alors que Linda était confrontée à sa tendance à procrastiner – une conséquence de la friction créée par Remind – cela n’a pas été accompagné de forts sentiments négatifs. Au lieu de cela, Linda et ReMind ont coopéré. Ils sont devenus des partenaires dans la lutte contre la procrastination de Linda, ReMind apportant une aide concrète (par exemple, par la représentation continue et physique de buts) et beaucoup de matière à réflexion. Linda a réalisé ses objectifs pendant la période de l’étude et espère qu’elle pourra prolonger les bienfaits de l’objet car elle a internalisé certaines bonnes habitudes.
Concevoir pour le changement à travers l’interactivité : ReMind, quels enseignements pour la conception des systèmes interactifs ?
Science-based Design : le design « éclairé »
ReMind est une bonne illustration d’un objet qui fait le lien entre recherche et pratique. En effet, ReMind incorpore du savoir sur la procrastination, le changement de comportement, et une certaine esthétique du changement. Avant la création de l’objet, ses concepteurs ont fait des recherches approfondies sur les raisons de la procrastination et les recommandations émises pour l’éviter. Ces stratégies anti-procrastination constituent la base du fonctionnement de ReMind.
Par exemple, la stratégie la plus connue est de lister ses objectifs et de leur assigner une deadline. Le nombre d’objectifs doit être réaliste en termes d’intérêt, de temps et de ressources personnelles. C’est pourquoi ReMind ne comprend que 10 aimants et ne permet pas de mettre plus d’un objectif par jour. Contrairement aux Applis qui permettent de créer des To-do lists illimitées qui deviennent vite ingérables, ReMind force l’utilisateur à se fixer des objectifs réalistes, et de ce fait à mieux réfléchir aux objectifs qu’il désire vraiment atteindre.
Une autre recommandation dérivant de la première est que les objectifs abstraits que l’on se fixe mentalement doivent être implémentés de manière plus concrète. Par exemple le but « faire plus d’exercice » devient plus facile à atteindre quand il est transformé en « aller courir 30 minutes chaque lundi ». Pour ReMind, les aimants doivent représenter des actions concrètes à réaliser et non un objectif abstrait, sans quoi vous ne pourriez jamais ôter un aimant d calendrier.
Enfin, on sait que dans la procrastination, les actions sont des actions intentionnelles de l’utilisateur. Il a donc une certaine envie de les faire, mais ne trouve pas la motivation ou les ressources pour s’y mettre. Ici c’est la matérialité de l’objet et son omniprésence (au milieu de votre salon ^^) qui va contribuer à déclencher un comportement. Quand un objectif atteint sa deadline, et qu’il est poussé par l’objectif suivant, il tombe littéralement au sol. En le forçant à ramasser l’aimant qui représente l’objectif, l’objet met l’utilisateur devant un choix concret : remettre l’aimant à une autre date et s’avouer vaincu, ou bien prendre son courage à deux mains et effectuer l’action. De temps en temps l’utilisateur repoussera sûrement l’aimant, mais souvent, il se peut que l’objet lui donne ce petit coup de pouce de motivation dont il avait besoin !
L’esthétique de la friction
Si vous avez été formé à concevoir des produits « ergonomiques » (tout comme moi) alors vous avez été formé pour créer des produits simples, faciles à utiliser, confortables. Mais, comme le souligne Hassenzahl, dans cette « esthétique de la commodité »vous n’insufflerez jamais le changement ! Ce dont vous avez besoin pour insuffler un changement des comportements chez les utilisateurs est plutôt une « esthétique de la friction« .
Des objets comme ReMind, qui relèvent de cette esthétique de la friction, ont plusieurs caractéristiques. Tout d’abord, ce sont des objets qui prennent position. Ils ne sont pas simplement des moniteurs neutres, qui se préoccupent peu du fait que vous réalisiez une tâche ou que vous procrastiniez encore un peu. Ces objets qu’on appelle transformationnels incorporent une vision du changement. ReMind n’est pas qu’une To-Do list, c’est un objet qui vous met devant un choix, qui vous pousse à une réflexion et à l’action.
D’autre part, ce sont des objets qui causent un certain trouble. ReMind « lance » les aimants au sol pour vous indiquer que les objectifs ne sont pas réalisés. Mais ce « trouble » est intentionnel, ce ne sont pas des objets confortables qui font les choses pour vous, mais plutôt des objets qui vous incitent par le trouble qu’ils causent à réaliser les actions par vous-même.
Enfin, si la « friction » est nécessaire pour instiller un changement, elle doit cependant être conçue avec précaution. Les « troublemakers » (objets fauteurs de troubles) sont une bonne chose mais ils doivent être conçus pour être sympathiques et ludiques, sans quoi ils ne seraient pas adoptés et utilisés, et pourraient même créer de la résistance au changement. Hassenzahl et Lashke décrivent 3 stratégies pour rendre l’objet attachant malgré la friction qu’il provoque : naiveté, compréhension et ironie/ambiguité.
Naiveté : ReMind n’est pas un objet particulièrement intelligent. Il ne comprend pas d’algorithmes super élaborés qui peuvent résoudre le problème de la procrastination. C’est une to-do list et la seule capacité quelle possède pour agir sur son utilisateur c’est de rejeter, presque pathétiquement, les aimants sur le sol quand les objectifs ne sont pas atteints. L’objet semble se moquer un peu de l’utilisateur en disant « je suis un objet tout simple et pourtant je sais ce qui est bon pour toi, alors pourquoi ne le fais tu pas ? ».
Compréhension : En outre, ReMind ne crée pas un choix qui exige des pouvoirs surhumains pour se comporter idéalement. Il comprend la procrastination et en joue de manière espiègle. De plus, ReMind permet délibérément la triche. Il est si facile de déplacer un but par dessus la barrière et de le retarder pendant 31 jours; ou de balayer l’aimant par terre sous le tapis, hors de vue, hors de l’esprit. D’une certaine manière, ReMind incorpore également la procrastination puisqu’il comprend 31 jours et que l’utilisateur peut placer un but loin dans le futur, stratégie typique des procrastinateurs ! En permettant les transgressions qu’il veut aider à surmonter, il montre une certaine compréhension de la complexité du problème. Il comprend que le but n’est pas la réussite à 100% et qu’on peut parfois échouer. Il devient « l’associé du crime », le miroir du Soi.
Ironie / ambiguité : Mais la naiveté et la compréhension ne nuisent pas à l’efficacité de l’objet à insuffler du changement. Car tôt ou tard les buts placés loin dans le mois vont se rapprocher du moment présent, signifiant la futilité du report. Reprendre un aimant et le repousser encore dans le temps est toujours autorisé, mais chacun de ces actes délibérés va inévitablement créer un moment de réflexion. Il est facile de tromper ReMind, mais beaucoup moins de se tromper soi-même 😉
En conclusion, les objets transformationnels matérialisent des intentions. Ils incarnent des stratégies bénéfiques pour atteindre des objectifs personnels. Contrairement aux objectifs abstraits que l’on a tendance à se fixer, les objets transformationnels précisent « quand », « où » et « comment » et ont le pouvoir de façonner la manière dont nous interagissons avec le monde. Par leur présence, ils peuvent briser les routines des comportements non désirables et les remplacer par des comportements désirables. Cependant, pour faire effet, une telle intervention doit être accompagnée par un effet de friction. Or nous n’avons pas l’habitude de créer de la friction, nous avons l’habitude de créer des choses confortables et de répondre à tous les besoins et désirs de nos utilisateurs. Malgré tout, pour leur bien, apprenons à concevoir de la « bonne friction » !
A travers leur forme, leur fonction, leur matière – tout simplement leur interaction – les objets façonnent le comportement. Si c’est fait de manière intentionnelle, alors les objets deviennent « transformationnels ».
Laschke, M., Hassenzahl, M., Brechmann, J., Lenz, E., and Digel, M. Overcoming procrastination with ReMind. Proceedings of the 6th International Conference on Designing Pleasurable Products and Interfaces, (2013), ACM Press, New York, NY, 77–85.
Hassenzahl, M. and Laschke, M. Pleasurable Troublemakers. In S. Walz and S. Deterding, eds., The Gameful World. MIT Press, Cambridge, MA, (in press).
Smith, J., Flowers, P., and Larkin, M. (2009). Interpretative phenomenological analysis: Theory, Method and Research. London, UK: SAGE.
Steel, P. The nature of procrastination: a meta-analytic and theoretical review of quintessential self-regulatory failure. Psychological bulletin 133, 1 (2007), 65–94.